Au départ Pen Duick c’est le nom qui a été choisi par Guy Tabarly, le père d’Eric, pour baptiser un voilier. Ce voilier c’est Pen Duick premier d’une lignée de bateau tous aussi célèbres les uns que les autres. Car Eric Tabarly n’aura de cesse d’appeler ses bateaux Pen Duick. Un attachement à la terre, à sa famille où à un voilier, ce marin d’exception a ouvert les routes de la course au large à la voile et il est devenu une légende. Une vie de marin commencée en 1938 sur le pont de Pen Duick et qui s’est tragiquement achevée en 1998 sur le même voilier un jour de mauvais temps entre le phare du Fasnet et les côtes irlandaises. Retour sur l’épopée des Pen Duick 1, 2, 3, 4, 5, 6 et une aventure maritime hors du commun.
Le bateau familial, le fameux Pen Duick
Ce voilier c’est la genèse, le commencement d’une formidable histoire, la matrice.
Ce voilier est au cotre aurique datant de 1898, un voilier qui fut construit en Irlande et qui connu de nombreux propriétaires successifs. A la fin des années 30, Guy Tabarly met la main sur un voilier dont l’architecte n’est autre que William Fife. Pour les néophytes ce nom n’évoque peut-être pas grand chose. Mais pour les passionnés un « plan Fife » – comprendre un bateau dessiné par William Fife » – c’est le top du top.
Les lignes du fabuleux voilier Pen Duick ont beau dater de plus d’un siècle, elles sont tendues, effilées et racées. C’est sans doute au fil des navigation avec son père qu’Eric Tabarly tombera définitivement amoureux de cette cathédrale des mers. Un yacht classique qui pourrait être comparé aux fameuses automobiles dessinées par Ettore Bugatti à Molsheim.
Les tribulations terriennes de Pen Duick 1
Pendant la guerre, les forces armées nazies lorgnent sur tous les voiliers de la façade atlantique. Ils ne savent, les voiliers ont une coque en plomb et le plomb est une denrée rare, surtout lorsque l’on fabrique à grande échelle des armes et des munitions. Le marin du bord aura alors la présence de faire un pieux mensonge, en assurant aux nazis que la quille était en fonte. Au début des années 50, c’est cette fois-ci le père d’Eric Tabarly qui souhaite se débarrasser du navire. Il est en très mauvais état et le restaurer coûterait un pognon de dingue, selon l’expression consacrée. Mais Eric aime ce bateau et il réussira à dissuader son père pour finalement récupérer une épave en 1952. Si Guy Tabarly avait voulu que son fils restaure Pen Duick, il ne s’y serait pas pris autrement.
Pen Duick 1 patientera donc sur les quais d’un port breton en attendant que son propriétaire termine sa carrière sportive de course au large. Au cours des années 80 le plan Fife sera une première fois restauré. Néanmoins les choix d’Eric ne se révèleront pas forcément judicieux sur le long terme. Il a restauré du mieux qu’il pouvait et de manière la plus économe possible. Mais en 2017 la sentence tombe, les assureurs ne veulent plus assurer le voilier qui devient trop fragile. Un gigantesque travail commence alors, Pen Duick sera rénové pour la modique somme de 700 000 euros. Le bateau sera donc complètement restauré en 2018 et il retrouvera la mer dès 2019.
Pen Duick 2, la naissance d’une légende
Ce voilier fut imaginé par Eric Tabarly, un marin de légende qui avait en plus une véritable vision pour dessiner et concevoir ses bateaux. Pen Duick 2 est composé de deux mats à la particularité d’être un prototype. C’est à dire qu’il n’y a eu qu’une seule unité de construite. Pour l’accompagné dans cette aventure navale Tabarly a pu s’appuyer sur Gilles Constantini, l’un des patrons des chantiers Constantini à la Trinité sur Mer.
La première rencontre entre Gilles Constantini et Eric Tabarly date de 1959, date à laquelle le marin souhaitait rénover le voilier de son père. En 1964 c’est un splendide voilier construit en contreplaqué marine qui sort des chantiers Constantini. Pour construire ce voilier Eric s’est inspiré de la série de voiliers Tarann. Le Tarann est un monocoque de croisière assez léger d’une dizaine de mètres construit en série par le chantier Constantini.
Le Tarann est donc un voilier de série qui fut construit à la Trinité entre 1961 et 1965. Et c’est en naviguant sur l’un de ces voiliers que l’idée de construire un bateau plus grand et plus rapide fait son chemin chez Eric Tabarly.
Un homme, un bateau, un océan, c’était toute la philosophie de la Transat Anglaise. Lorsqu’Eric Tabarly s’élance en 1964 dans la deuxième édition de cette course transocéanique, il le fait dans l’indifférence générale. Mais lorsqu’il rejoint Newport en tête après 27 jours de course il devient du jour au lendemain un héros. Le président de la République lui remettra même la légion d’honneur. Ce bateau sera le point de départ pour d’autres aventures, d’autres régates mais cette fois-ci en équipage.
Pen Duick III, toutes les courses autour du monde
Pas le temps de savourer les honneurs de la victoire, qu’il faut repartir en 1967 sur un projet encore plus ambitieux, encore plus grand. Pen Duick 3 mesure cette fois-ci 17,45 mètres de long. Avec ses 152 mètres carrés de toile au près, ce voilier de la série Pen Duick en impose. Mais au portant ce voilier en porte plus du double, soit 320 mètres carrés de voiles.
C’est d’ailleurs à l’époque le plus grand voilier du monde en aluminium jamais construit. Encore une fois Eric Tabarly un marin hors du commun se révèle être visionnaire. D’ailleurs en 2001, lors de son tour du monde à l’envers en solitaire et sans escale, Jean-Luc Van Den Heede choisira l’aluminium pour son grand monocoque.
Mais Pen Duick III c’est aussi un changement de cap radical. Car cette goélette Marconi fut construite pour la course autour du monde et en équipage. En plus d’être un marin, Eric Tabarly est un meneur d’homme.
L’année 1967 sera l’année de la consécration, puisque Pen Duick III gagnera toutes les courses de la saison. Sept courses de légende dont la Fasnet, toutes raflées aux anglais haut la main.
Les anglais sont écœurés et le règlement de la jauge du RORC sera modifié dès 1968. Désormais les goélettes seront lourdement pénalisées par le handicap de la jauge RORC.
Mais Pen Duick III en aussi bon chemin. Ce voilier gagnera la mythique course Sydney Hobart en 1967.
Pen Duick 4, le voilier d’un visionnaire
En 1968 c’est le quatrième du nom qui fait son apparition. Après Pen Duick 2 le monocoque ultra léger en contreplaqué marine, après Pen Duick 3 un voilier surtoilé en aluminium c’est au tour de Pen Duick IV de surprendre tout le monde. Eric Tabarly vient de lancer un trimaran. La construction de ce multicoque a débuté en 1967 et pour le financer, Eric Tabarly a eu l’idée de vendre des exclusivités sur ses navigations à France-Soir, Paris Match et RTL. Malheureusement le manque de temps, d’argent et de préparation ne permettent pas à Eric d’exprimer tout le potentiel du navire. Dans la fameuse Transat Anglaise de 1968, il devra abandonner, car il n’a pas eu le temps de mettre son voilier au point.
Pen Duick 4 sera vendu à Alain Colas en 1969 pour 230 000 francs ce qui représenterait 200 000 euros en 2020. En 1972, Alain Colas remportera la Transat anglaise à bord de ce trimaran en aluminium rebaptisé Manureva. Eric Tabarly, le concepteur de ce prototype avait encore une fois vu juste.
Un retour aux sources avec Pen Duick 5
Ce voilier fut construit en 1968 spécialement pour la course San Francisco – Tokyo, soit 5 700 miles nautiques à travers l’Océan Pacifique. Dans ses mémoires Tabarly écrira qu’arrivé avec 11 jours d’avance, personne ne l’attendait.
Aujourd’hui Pen Duick 5 appartient aujourd’hui aux collections du Musée national de la Marine et il est exploité par l’école Nationale de Voile. Entre deux navigations, il est amarré à la cité de la Voile à Lorient.
Pen Duick 6
Pour le dernier voilier de la série Pen Duick, Eric Tabarly retourne vers la course en équipage. En 1973 il fait construire à l’arsenal de Brest un immense ketch Marconi en aluminium de plus de 22 mètres de long.
L’architecte n’est autre qu’André Mauric. Bien que ce bateau fut construit pour la course en équipage. Ce voilier conçu pour embarquer quatorze équipiers dans des courses au large connaîtra malheureusement de nombreuses fortunes de mer et n’aura pas la même réussite que les autres Pen Duick.
Pen Duick 6 démâtera deux fois et privera Tabarly d’une victoire sur la première course en équipage autour du monde.
L’ironie du sort voudra qu’Eric Tabarly gagne encore une fois une course transatlantique en solitaire. Cette course, c’est celle qu’il a gagné en 1964 avec Pen Duick 2. Douze années plus tard il gagnera donc encore dans des conditions beaucoup plus compliquées à bord d’un voilier de 17,45 mètres de long.
« Des marins comme Tabarly il y en a un par siècle et encore les bons siècles » Ce fut l’hommage posthume de Kersauson à Tabarly. Eric était un marin d’exception mais aussi un visionnaire, un homme qui avait prédit qu’un jour les bateaux voleraient. Les Pen Duick 1, 2, 3, 4, 5, 6 témoignent de l’amour mais aussi de la compréhension de l’univers maritime, des matériaux d’un homme à la fois simple et hors du commun… Victor Hugo disait, « la vie est un éclair dans l’éternité ».
crédits photos: Yann Ve
dernière mise à jour le 8 juin 2021