Le 26 avril 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl a explosé entraînant ainsi toute une région dans l’enfer nucléaire. Mais quelles sont les raisons de l’explosion de la centrale de Tchernobyl ? Pour répondre à cette question nous allons nous intéresser aux multiples facteurs et aux erreurs humaines qui ont amené à cette catastrophe.
RBMK, la question d’un réacteur 100% made in URSS
Si Tchernobyl a explosé c’est avant tout à cause du type de réacteur employé couplé à la volonté de faire un test grandeur nature. En effet ce type de réacteur développé en URSS n’a aucun équivalent dans le monde. C’est un système unique qui permet de produire de l’électricité sans recourir aux grandes cuves des centrales nucléaires classiques. Autre point positif avec le réacteur de type RBMK, c’est qu’il est possible de le charger, en combustible, pendant son fonctionnement. Contrairement aux centrales nucléaires que l’on trouve en occident. RBMK, est l’acronyme de réacteur à grande puissance à tubes de forces. A l’intérieur on peut charger 200 tonnes d’uranium.
Les réacteurs RBMK utilisent donc les neutrons thermiques pour créer de la chaleur qui servira à chauffer de l’eau. La vapeur ainsi produite en très grande quantité permettra ensuite de faire tourner une immense turbine qui produira de l’électricité. C’est en gros le même principe que la production hydraulique mais « sans la rivière ».
Ce système de centrale nucléaire offre quelques avantages, mais son principal inconvénient est que le cœur du réacteur devient très sensible et très instable en dessous des deux tiers de sa capacité de production. En d’autres termes, il faut que la centrale tourne à plein régime. Elle ne peut pas et ne doit pas tourner en dessous d’une charge de 70%.
L’expérience qui a tout fait basculer
Alors que le dernier weekend d’avril se profile, les esprits sont plutôt à la fête. Le long hiver ukrainien est terminé et tous les habitants de la ville de Pripyat en Ukraine se préparent pour célébrer la fête du travail du 1er Mai qui sera suivie de celle du 9 mai. Pour rappel, le 9 mai est un jour férié en URSS. En effet c’est à cette date que l’Union soviétique célèbre la victoire de 1945 sur l’Allemagne Nazie. Autant dire qu’à l’approche des deux des plus importantes fêtes populaires soviétiques, le moral de toute la population était au beau fixe. Et on pouvait très certainement noter un certain relâchement à travers toute l’URSS.
Autre point important, les travailleurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl souhaitaient être bien vu par leurs supérieurs hiérarchiques moscovites. Dans le but de briller dans cette course à l’atome, les responsables de la centrale proposèrent à Moscou un test d’auto-alimentation du réacteur. L’idée était de simuler une panne de courant et de faire produire au réacteur sa propre électricité. Et ce par inertie des turbines l’eau devait continuer à circuler dans le circuit de refroidissement. L’administration centrale soviétique n’aurait jamais vraiment donné son accord express et les responsables de la centrale aurait fait preuve d’une sorte d’excès de zèle. Ce qui était un mode de fonctionnement généralisé à cette époque.
La catastrophe de Tchernobyl étape par étape
Initialement, le test d’auto-alimentation devait avoir lieu le vendredi 25 avril 1986. Pour ce faire l’équipe de jour désactiva le système d’alarme, sans en informer l’équipe de nuit et ce point jouera un rôle assez important dans l’explosion du réacteur numéro 4. Pourquoi l’équipe de jour a-t-elle désactivé l’alarme? Tout simplement parce que l’expérience devait être menée avec l’équipe de jour. Malheureusement, le centre qui est en charge de la distribution de l’électricité en Ukraine demanda à la centrale de maintenir la production électrique car les besoins en électricité dans le pays étaient importants. Le réacteur tourna donc toute la journée et c’est lorsque la puissance chuta brutalement vers 23 heures (lors de l’arrêt de la production électrique) que le réacteur se chargea en Xénon-135. On parle ici de contamination classique. Et il faut alors refroidir le réacteur et attendre au moins pendant 24 heures pour que le niveau de Xénon-135 revienne à un niveau acceptable. L’importance de laisser au « repos » le réacteur pour que la contamination au Xénon-135 disparaisse est donc un point fondamental. Et cette règle élémentaire n’a pas été respectée.
Lorsque la journée de production se termine en ce vendredi du 25 avril 1986, l’activité du réacteur ralentit et c’est l’équipe de nuit, composée notamment de deux ingénieurs stagiaires et de gens moins formés, qui va prendre le relais. Et les rares membres de l’équipe de nuit qui sont expérimentés traitent le réacteur comme une casserole. Ils font chauffer le réacteur un peu comme ils feraient bouillir de l’eau sur le réchaud de leur cuisine. Ils augmentent la puissance puis la baisse brutalement en jouant avec le système de barres de contrôle.
Pour rappel un réacteur nucléaire va produire de la chaleur grâce aux réactions en chaîne de l’atome. Cette chaleur va faire chauffer de l’eau qui va se transformer en vapeur d’eau. Et c’est la vapeur d’eau pressurisée qui fait tourner deux immenses turbines qui vont produire de l’électricité. C’est le principe de la dynamo.
le début de l’expérimentation 23 heures
Vers 23 heures la réduction de la puissance du réacteur aurait été enclenchée. Le réacteur, à ce moment précis, a tourné pendant près d’une douzaine d’heures à pleine capacité. Le cœur du réacteur numéro 4 est donc assez chaud. Généralement lorsque l’on arrête un réacteur pour une opération de maintenance, il est conseillé de continuer à refroidir intensivement le cœur de celui-ci du fait des dégagements de chaleur entraînés par les désintégrations radioactives.
Vers minuit une nouvelle équipe prend donc la relève et poursuit l’expérimentation hasardeuse. La puissance baisse jusqu’à 700 MWth puis vers 0h30 le tragique niveau de 500 MWth est dépassé. À partir de ce moment le réacteur devient hyper instable et celui-ci chute jusqu’à 30 MWth. Le réacteur se charge alors immédiatement en Xénon-135. Et c’est cet élément qui empêchera le redémarrage de la centrale. Il faut alors laisser le réacteur au repos pour 24 heures.
Mais, contre toute attente, ce sera à ce moment précis que l’on décidera de relancer le réacteur pour poursuivre le test d’auto-alimentation et ce malgré l’empoisonnement au Xénon-135 qui vient de se produire. Vers 1 heure du matin la puissance de 200 MWth est atteinte. Mais pour forcer le redémarrage, les techniciens ont retiré du cœur du réacteur les barres de régulation. A ce moment là, un nouveau pas est donc effectué vers la catastrophe. Car il n’y a plus suffisamment d’absorbeurs pour éviter une réaction en chaîne et donc l’emballement du réacteur.
L’explosion à 1h23 et 40 secondes
A 1h23 les vannes d’alimentation de la turbine sont coupées. Résultat la température augmente encore. Constatant un niveau alarmant de l’augmentation de la puissance et de la température du réacteur, il est décidé d’insérer les barres absorbantes (celles qui ont été en grande majorité retirées pour permettre le redémarrage). Mais il faut 20 secondes pour les insérer totalement ce qui est beaucoup trop long. Et ce qui devait arriver arriva. Au bout d’une poignée de seconde une énorme explosion se fit entendre. Il était 1 heure 23 et 40 secondes du matin et le réacteur de Tchernobyl venait en fait de subir une double explosion due à un emballement et une réaction en chaîne qui provoquèrent alors la pire catastrophe nucléaire de l’histoire.
La formation en question
Les opérateurs de la centrale de Tchernobyl travaillaient dans un complexe soviétique qui avait la particularité d’être à la fois un lieu civil et militaire. Par conséquent les ouvriers de la centrale évoluaient dans un complexe militaro-industriel où les informations circulaient très peu. Beaucoup n’avaient que peu de connaissances en physique atomique et ils avaient une approche beaucoup trop mécanique de la chose.
On imagine bien qu’un site qui se livre à l’enrichissement de plutonium pour la bombe atomique n’est pas un lieu où chaque intervenant a droit à une formation exhaustive et à une présentation globale du projet. Bien au contraire, pour éviter une fuite de l’information chaque intervenant a donc une vision parcellaire du projet. Ce qui l’empêche de comprendre ce qui se passe vraiment dans la centrale. En cas de tentative d’espionnage de la part de puissances étrangères du bloc de l’Ouest, il aurait été beaucoup plus compliqué de récolter des informations auprès des travailleurs de la centrale.
De plus il était absolument hors de question d’avoir le moindre doute sur les capacités de la centrale nucléaire Vladimir Ilitch Lenine de Tchernobyl en général et sur les technologies soviétiques en particulier. La centrale ne pouvait pas connaître d’avarie. Lénine disait d’ailleurs : « le communisme c’est les Soviets plus l’électricité ».
Des appareils de mesure qui ne permettent pas de mesurer le véritable niveau de radiation
Juste après l’explosion, les opérateurs se penchèrent donc sur les dosimètres de la centrale. Néanmoins ces appareils de contrôle n’étaient pas adapté à la situation. Car les dosimètres présents sur le site avaient la particularité d’être des outils très précis et de mesurer sur une échelle très basse. Ce sont davantage des outils de détection que des outils de mesure. Ils ne sont donc pas fait pour mesurer la radiation. Mais ils sont là pour la détecter. C’est à dire mesurer d’éventuelles traces (des faibles doses) d’une présence d’éléments radioactifs. Les dosimètres (compteurs gégères) qui sont présents sur le site de production Vladimir Ilitch Lénine sont là pour traquer les fuites et non pas pour mesurer la radioactivité incommensurable lorsqu’un réacteur connaît une avarie gravissime ou une explosion. Par conséquent lorsque les premiers rapports sont envoyés à Moscou ce sont les données maximum des dosimètres de détection qui sont transmises.
Résultat, lorsque l’administration centrale reçoit le rapport, personne ne s’inquiète outre mesure. C’est un peu comme si vous étiez sur une mobylette qui roulait dans une grande descente à 280 kilomètres heure. Et que le compteur ne pouvait pas afficher la vitesse réelle après 50 km/h. L’aiguille reste donc bloquée à son maximum et le résultat de la mesure est juste la valeur maximum du compteur et pas la réalité. Cependant chuter de mobylette à 50 km/h n’a aucune commune mesure avec une chute effectuée à 280 km/h. L’exemple est forcément maladroit mais c’est une façon comme une autre de faire prendre conscience du problème des dosimètres. Ces appareils de mesure étaient censés repérer des petites traces de radiations ou des fuites. En d’autres termes c’étaient des apareils de détection de la radioactivité et non des appareils de mesure. De plus ces outils saturaient à 3,9 rengen alors que les radiations sont montées en ce samedi 26 avril 1986 jusqu’à plus de 2000 rengen.
Sources: IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) / L’accident nucléaire de Tchernobyl et son déroulement
France Culture / la méthode scientifique / Tchernobyl au coeur du réacteur