Le nom que porte cette usine russe du sud de l’Oural n’est autre que celui de Mayak. Un mot qui, en français, signifie littéralement phare. Mais Mayak, na rien d’un phare car c’est avant tout une vaste zone où étaient stockées des matières fissiles et des déchets nucléaires. Et à l’époque, tout se passait comme cela devait se passer en Union Soviétique. Tout allait bien dans le meilleur des mondes et pour assurer la sécurité les autorités en avait fait un lieu ultra secret. Le tout en bouclant militairement toute la région. Cette usine était sur un lieu fermé, certes mais sa dangerosité était elle bien présente. Mayak n’avait donc aucune existence officielle et le monde entier ignorait tout de cette usine. Mais la confidentialité ne permis pas d’éviter l’impensable. Brutalement, le 29 septembre 1957 un terrible accident nucléaire vint rappeler aux autorités soviétiques l’extrême dangerosité de cette nouvelle technologie. Une tragédie mal gérée qui devint la troisième catastrophe nucléaire de l’histoire juste derrière Tchernobyl et Fukushima.
Mayak, zoom sur une usine qui n’existait pas
Cette usine gérée par Rosatom, spécialisée dans le retraitement de matières nucléaires, va connaître vers la fin des années 50 une terrible cathastrophe. Un accident nucléaire qui va demeurer sous silence pendant de longues décennies. Et c’est logique. Car pour les autorités soviétiques de l’époque, déclarer une catastrophe pour un complexe militaire qui n’est pas sensé exister, c’est tout simplement impensable. C’est ainsi que pendant un demi siècle, des millions de citoyens russes vont vivre avec l’illusion d’une vie saine au contact de la nature.
Scheliabinsk 40, centrale nucléaire de Kytchym, Mayak Oziorsk, tous ce noms désignent le même lieu. Un complexe militaro-industriel incontrolable et incontrôlé où a eu lieu une catastrophe nucléaire d’un niveau 6 (accident grave) sur l’échelle de l’INES. L’échelle internationale des évènements nucléaires compte sept niveaux. Le niveau 7 (accident majeur) correspond à la fusion du coeur du réacteur comme pour les centrales de Fukushima ou de Tchernobyl..
Mayak (Maiak), une usine qui fait froid dans le dos
Cette usine pas comme les autres, se trouve en plein cœur d’une zone interdite. Officiellement cet endroit n’existe pas et de larges zones d’exclusion empêchent à tout visiteur d’y approcher. Les seules personnes qui peuvent vivre sur ces terres sont les habitants historiques de cette région de l’Oural. Des gens qui vivent là depuis toujours de génération en génération et qui n’ont pas été déplacés. Une façon comme une autre pour ne pas attirer les soupçons où la curiosité d’éventuelles puissances étrangères. Seule spécificité, les habitants possèdent un laissez-passer pour pénétrer à l’intérieur de la zone.
C’est en 1946 que l’URSS décide la construction de cette usine. Un lieu de « retraitement » des déchets qui fut construit à la va-vite et dont une partie du pays en paiera les conséquences quelques années plus tard. Parralèlement ce lieu sera conçu à des fins militaires. En effet c’est ici que seront fabriqués les composants nécessaires à la construction des bombes nucléaires soviétiques. A noter qu’il aura fallut un an et demi pour que cette centrale nucléaire militaire d’enrichissement de plutonium soit construite. Un temps record pour un complexe militaro-industriel d’une telle ampleur.
Oziorsk, la ville qui vit dans l’ombre de la radioactivité
A côté de ce complexe industriel est construite la ville Sheliabinsk-40, c’est le surnom donné à la ville d’Oziorsk. Une ville secrète qui servira de lieu de vie pour les travailleurs de la centrale nucléaire. Une ville auparavant secrète et qui demeure aujourd’hui une ville fermée. Ici l’usine militaire et la ville n’existaient officiellement pas. Pendant de longues années, les travailleurs n’avaient même pas le droit d’en sortir. Et aujourd’hui les visiteurs étrangers ne sont toujours pas les bienvenus.
Cette ville aurait été fondée en 1945, juste après la seconde guerre mondiale. Le but était de produire du plutonium et de doter l’URSS d’une bombe nucléaire afin de maintenir le statut quo avec les Etats-Unis. L’ennemi déclaré de Staline.
1947 – 1957, l’ère des apprentis sorciers
Cette usine fut donc construite dans le plus grand secret. Pendant près de dix années cette usine va procéder à des opérations d’enrichissement et de dissociation de l’atome. En gros on raffine le plutonium afin de rendre les bombes atomiques encore plus puissantes. Mais au fur et à mesure que les activités du site croissent, le risque augmente inexorablement.
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Rabelais
L’usine Mayak est donc située dans une plaine de l’Oural à environ 2 000 kilomètres de Moscou, soit trois heures d’avion. Cette plaine est traversée par une rivière la Tetcha. Une rivière où seront reversés sans aucune attention particulière une bonne partie des déchets radioactifs. Mais au bout de quelques années les autorités se rendent compte que la pollution radioactive est incontrôlée. Ils comprennent que malgré l’immensité du territoire la radioactivité est un véritable poison qu’il faut contenir. Or, en Russie les rivières ont la particularité de couler du sud vers le nord. Elles ne sont donc d’aucune utilité commerciale puisque les routes marchandes de cette partie du monde n’ont jamais suivi l’itinéraire des fleuves. Bref, la radioactivité coule vers le nord et l’Océan Arctique. Des taux très inquiétants de radioactivité seront donc logiquement mesurés à des milliers de kilomètres de là.
Le point de non retour
C’est donc à ce moment que là que débutèrent les opérations de stockage à proximité de l’usine Mayak. Néanmoins il existe deux sortes de déchets radioactifs. Il y a les déchets à vie courte et les déchets à vie longue. Si les déchets perdent la plupart de leur radioactivité en moins de 31 ans, on les classe dans la partie des déchets à vie courte. A l’opposé, si un déchet radioactif met plus de 31 ans à se décomposer on parle alors de déchet à vie longue.
Les déchets à vie courte seront donc désormais jetés dans un lac situé à proximité. Le lac Karatchaï, un lac qui est considéré par tous comme étant le lieu le plus radioactif de la planète. L’autre partie des déchêts sera disposée dans des fosses creusées non loin du site. Mais ce qui va vraiment poser problème ce sont les déchets hautement radioactif à vie longue. En effet, ceux-ci réclament une attention particulière pour la simple et bonne raison qu’en plus de leur cycle de vie long ils peuvent connaître une très forte instabilité. Cette instabilité peut donc provoquer une réaction en chaîne et donc une explosion. Pour éviter cet écueil les bidons métalliques qui contiennent ces dangereux déchets, sont refroidis régulièrement.
il existe 6 catégories de déchets radioactifs :
déchet à vie courte (moins de 31 ans)
- VTC (déchet à vie très courte)
- TFA (très faible activité)
- FME -VC (déchet à faible et moyenne activité à vie courte)
déchet à vie longue (plus de 31 ans)
- FA-VL (faible activité à vie longue)
- MA-VL (moyenne activité à vie longue)
- HA (haute activité)
Nota Benne: des déchets radioactifs à vie longue peuvent se trouver en petite quantité dans le bloc des déchets à vie courte. Mais étant donné le faible pourcentage qu’ils représentent ils seront classés dans les déchets à vie courte. Et vice versa.
L’explosion du 29 septembre 1957
Le complexe militaro-industriel baptisé Mayak (phare en français) devait briller de par la concentration de cerveaux qui s’y trouvaient. (des scientifiques ndlr). Or les russes ne le savent pas encore mais le site va briller pour d’autres raisons. Ces raisons c’est d’abord une gigantesque explosion puis une très forte radioactivité qui décimera plusieurs dizaines de milliers d’habitants sur les 50 années qui suivront.
Dans l’après midi le système de refroidissement des déchets hautement radioactifs tombe en panne. La conséquence ne se fait pas attendre et à 16h45 une explosion résonne dans la quiétude des plaines de l’Oural.
Les habitants furent surpris par la puissance de l’explosion. Et puis un nuage de fumée (le champignon) monta à près de 1 000 mètres de haut. Deux cents personnes vont mourir sur le coup à cause de la déflagration.
Le nuage de fumée va commencé par contaminer un couloir de deux cents kilomètres de long (la terrible traînée Ouralskaya). C’est pratiquement instantanément que 300 000 personnes reçoivront des doses d’irradiations mortelles.
Les villes voisines d’Ekateringbourg et de Shéliabinsk sont également touchées. Et malgré l’importance du sinistre seules 10 000 personnes à peine seront déplacées.
Concernant l’explosion, il n’y a qu’une seule raison. Et celle-ci tient dans les conditions de stockage déplorables de matières hautement radioactives. Et c’est ainsi que Mayak devint le premier accident nucléaire au monde. Un accident qui a été classé à un niveau 6. Contre un niveau de 7/7 pour les centrales de Fukushima et de Tchernobyl. Néanmoins ce classement de l’avarie au niveau 6 ne doit pas cacher l’extrême dangerosité du site. En effet la radiation est ici sans commune mesure avec celles de Fukushima ou de Tchernobyl.
1957 – 1967, la gestion de l’accident nucléaire
Suite au troisième plus important accident nucléaire de l’histoire de l’humanité, près d’un demi-million de personnes seront touchées. La zone de radiation a pu s’étendre sur plus de 20 000 kilomètres carrés. Et aujourd’hui il est vraiment trop tard pour faire quoi que ce soit. Mais l’essentiel n’est plus là. Il faudrait désormais fuir et faire évacuer les populations de toute urgence pour faire diminuer leur temps d’exposition aux radiations. Et pourtant rien ne bouge et tout continue comme si le centre de Mayak n’avait jamais existé..
Après l’explosion le plus important pour les autorités soviétiques ce sera de faire comme si de rien n’était. Aucun matériel spécifique ne sera amené sur zone. L’objectif est de ne surtout pas révéler indirectement la possible existence d’une usine de d’enrichissement de l’atome et de « retraitement » des déchets radioactifs. Des populations seront donc laissées dans l’ignorance et seules face à danger mortel invisible.
Mais c’est pendant l’été 1967 que la catastophe pris une tournure encore plus catastrophique. Avec la sécheresse le lac voisin (le fameux lac Karatchaï) de la centrale nucléaire est presque totalement à sec. A partir de ce moment des particules hautement radioactives se retrouvent de nouveau à l’air libre. Et de nouveau des territoires sont touchés par les radiations et des citoyens russes se retrouvent contaminés.
Les balises de l’IRSN et Mayak refait parler d’elle
En septembre 2017, toute l’Europe s’affole. Du ruthénium 106 est détecté dans l’atmosphère. L’IRSN, un institut français, possède en effet un peut partout sur le territoire des stations qui analysent l’air. Des laboratoires en plein air qui recherchent spécifiquement tout ce qui peut se rapporter à l’atome. Et en 2017 l’alarme s’est déclenchée en France mais également un peu partout en Europe. Et malgré les sonnettes d’alarme tirées un peu partout en même temps, personne ne sait d’où vient le nuage de ruthénium 106. Et surtout personne n’est capable de dire précisément d’où il vient. Mais tous les regards se tournent vers l’Oural. En en Oural, il n’y a qu’un seul site nucléaire qui pose problème. Le fameux centre Mayak. A moins qu’une usine ait été enterrée à proximité pour éviter tout risque de détection et ou de contamination à l’air libre en cas de fuite. Avec les soviétiques tout est possible.
L’ombre de la terrible usine Mayak plane encore au-dessus de nos têtes. Un danger avec lequel il faut « apprendre à vivre avec ». Car pour ROSATOM, l’entreprise chargée de son exploitation, il n’y a rien à craindre et tout va bien.
Il faudra attendre la fin de l’année 2019 pour que des chercheurs français confirment que le nuage radioactif détecté en septembre 2017 venait bel et bien de l’Oural. Le 106ru – un isotope radioactif qui n’existe pas à l’état naturel provenait très probablement de Mayak et d’une énième erreur et d’un accident d’exploitation. Les russes auraient, selon les spécialistes, essayés de produire du cérium-144. Mais ils auraient raté leur expérimentation.
1957 -2017, soixante années après rien n’aura vraiment changé et le complexe industriel du phare continuera de faire briller des particules radioactives dans l’atmosphère de cette partie de l’Oural.
2020 sauve qui peut
Ceux qui connaissent la Russie le savent. Les étés sont parfois très chauds et très secs. Et c’est alors à ce moment là que commence le film d’horreur. Les herbes folles prennent feu, puis c’est la terre ou plutôt la tourbe qui s’embrase pour ne plus jamais s’arrêter de brûler. Le tout en créant une fumée incroyable qui rend l’air des grandes villes et des campagnes irrespirable.
En juillet et en août 2020, la forêt brûle dans le sud de l’Oural. Mais ce fut le 6 août qu’un fonctionnaire locale déclara l’état d’urgence pour la ville d’Ozersk.
Ozersk c’est l’autre nom pour désigner le complexe militaro-industriel de Mayak (s’écrit également Maïak). Ce centre de raffinage de plutonium et de retraitement de déchets radioactifs est cerné par les flammes. L’épaisse fumée toxique provenant des feux des tourbières de l’Oural et de la région de Moscou auraient provoqué mille morts par jour. (source Alexei Iablokov via l’AFP). Fumée et canicule ne font pas bon ménage en Russie. Surtout lorsque l’on sait que des zones potentiellement radioactives ont peut-être brûlé. Mais ce 6 août 2020, la priorité n’était clairement pas la surmortalité provoquée par ces fumées mais plutôt le risque de voir un gigantesque feu incontrôlé dévaster une centrale nucléaire. Cette année là, les russes et l’Europe a eu très chaud.
dernière mise à jour le 14 juillet 2021