Pourquoi le voyage est mort ?

Que reste-t-il du voyage aujourd’hui ? Une liste de lieux géolocalisés où l’on est sûr de réussir sa photo? Généralement une photo d’un joli panorama avec quelqu’un au premier plan pris de dos. Les touristes du monde moderne courent après les icônes du voyage. La recherche de la reproduction parfaite d’images déjà existantes. Transformant ainsi des lieux purs et puissants en un espèce de supermarché de l’image, entraînant ainsi la mort lente et inexorable de l’esprit du voyage.

Pourquoi l’esprit du voyage est mort ?

Avant les gens voyageaient pour s’assurer que les photos qu’ils voyaient dans les livres étaient bien réelles. Mais aujourd’hui les gens ne lisent plus. Ils voyagent uniquement pour s’assurer que les lieux et les couleurs qu’ils voient sur instagram existent réellement. Comme la grande balançoire de Bali au-dessus de la jungle, la piscine à débordement d’Ubud ou de Singapour. Et l’inévitable hamac suspendu au-dessus de l’eau turquoise d’un lagon.

« Le voyageur voit ce qu’il voit, le touriste voit ce qu’il est venu voir. » Cette citation de Gilbert Keith Chesterton est sûrement l’une des citations sur le voyage qui colle le plus à ce que nous vivons actuellement.

La fin du voyage n’est ni lié à l’écologie, ni à la crise du covid-19. La crise sanitaire et écologique que nous vivons ne sont que la cerise sur le gâteau. Les raisons de la mort du voyage sont évidement bien plus profondes que cela. Prétendre que l’on va voyager moins, pour des raisons éthiques où environnementales, c’est un peu comme la tarte à la crème des promesses électorale.

Le monde moderne est évidemment une gigantesque tartuferie. Il aura fallut par exemple un confinement forcé de l’ensemble de la population pour que des millions de français aient une envie subite de faire du sport et envie irrésistible de faire une activité physique tous les jours.

Voyager répond à la démonstration d’une réussite sociale. Le fait d’avoir « vaincu une façon de vivre » par une autre. Les règles du voyage répondant exactement aux mêmes injonctions que le « métro boulot dodo ». Se lever tôt pour voir les levers du soleil qui sont exactement les mêmes partout sur la planète. Poster des photos de dos et sur instagram. Et surtout expliquer combien on a dû faire de sacrifices pour en arriver là. Bref une ouverture d’esprit aussi large que la mémoire vive d’un téléphone portable.

La fin du modèle du tour du monde

Pendant très longtemps le tour du monde était le graal du jeune voyageur qui venait de finir ses études. Le tour du monde répondait alors à un modèle très précis. Il fallait passer au moins six mois à prendre l’avion entre les cinq principaux continents de la planète. Les plus courageux se lançaient sur les routes à vélo, mais ils représentaient l’exception qui confirme la règle. Faire le tour du monde c’était apporter la preuve que l’on avait fait un vrai voyage. Pas un voyage de trois semaines aussi intense soit-il. Non le tour du monde devait se faire en une fois et entre six et dix-huit mois pour être honoré du badge fictif de voyageur. La preuve par trois que l’on avait fait toutes les auberges de jeunesse possibles et imaginables. Que l’on avait vécu avec vingt euros par jour sans rien voir de ce qui se passait à plus de quatre kilomètres de son logement de fortune.

Le tour du monde des salades césars et des cappucinos à la cannelle

Et puis petit à petit le tour du monde s’est transformé en un voyage formaté via les fameux billets « tour du monde ».  Un billet valant 2 000 euros et parfois moins. Un billet qui permet de faire cinq ou six escales à travers le monde. Un parcours qui se limite généralement à l’Asie, parfois l’Océanie et un surtout un passage obligé par les Etats-Unis, Dubaï ou Singapour.

C’est définitivement le tour d’un monde. Ou le tour des lieux les plus touristiques du monde où l’on parle la même langue : le globish (global english) et où l’on mange à peu près la même chose. Un tour du monde où l’on s’étonne à chaque fois de manger des bonnes pizzas et de boire des bons jus de fruits à la mangue ou des bonnes bières fraîches. Un vrai tour du monde quoi.

Mais heureusement le temps le tour du monde devient le truc le plus « has been » qui puisse exister. Vous n’avez pas besoin de faire le tour du monde pour dire que vous avez voyagé. Prenez votre temps, prenez le train et les vieux cargos. Oui les cargos polluent, mais que vous soyez ou non à bord ils naviguent généralement jusqu’à leur naufrage.

Bref, 194 c’est le nombre de pays dans le monde. Et il sont tous composés d’autant de régions de départements de divisions administratives, de sub-divisions et de sous-ensembles culturels. On peut passer une vie à visiter un pays, la Chine, l’Indonésie, le Japon ou la Russie en sont de parfaits exemple.

Pourquoi le tour du monde est-il devenu au voyage ce que le tatouage Maori est au tatouage ?

Le tour du monde est devenu aujourd’hui un truc dépassé. Peut-être parce que le tour du monde est devenu un parcours vraiment trop balisé. Un trajet réalisé principalement en avion par une masse de gens éclectiques incapables de placer sur une carte de France les départements de l’Ardèche, de l’Aveyron ou de l’Allier.

Mais aussi, par ce que le « tour du monde est devenu le tour d’un monde. Un monde qui se limite généralement à l’Asie du Sud-Est. Australie, Indonésie, Thaïlande ce sont les marqueurs du fameux « tour du monde ».  Ce sont d’ailleurs les pays les plus visités lors d’un tour du monde.

Pendant longtemps, trop longtemps, les fanas d’escalades, de navigation côtière en voilier et les randonneurs paissaient pour des espèces d’intrus qui n’avaient pas leur place à la table des « vrais voyageurs ». Par vrais voyageurs ont désignait ceux-là même qui cramaient en un aller-retour à Lors Angeles cinq années de leur bilan carbone. Mais les modes sont cycliques et tout à déjà basculé.

L’illusion du micro-voyage et de la micro aventure, suite et fin du voyage

Heureusement, les prêtes et prêtresses de la bien pensance ont un argument tout prêt. Désormais place à la micro-aventure près de chez soi. En gros c’est toujours dans la même lignée que le tour du monde mais avec l’idée illusoire que l’on protège la planète. Et les packs voyage de la micro-aventure commencent déjà à fleurir près de chez vous.

Vous souhaitez résister ? Une seule injonction, vivez, faîtes ce que vous aimez. Soyez donc ce monsieur Jourdain du Bourgeois gentilhomme qui fait de la prose sans le savoir. Pourquoi? Et bien tout simplement parce que lorsque vous êtes en train de vous définir en tant que telle ou telle individualité vous êtes tout simplement en train de rentrer dans la case qu’un spécialiste du marketing a dessiné pour vous. Une segmentation qui permet de vous créer des fausses références pour vous vendre le sac à dos pratique du micro voyageur. Mais rassurez-vous, on cherchera à vous vendre aussi l’appareil photo idéal pour voyager près de chez vous et l’abonnement mensuel au logiciel de retouche de photo ou de montage vidéo. Sans oublier les fringues techniques pour la micro aventure et de conclure par la voiture du micro voyageur ou le pack location qui va avec.

L’industrialisation des petites aventures que l’on peut réaliser près de chez soi va donc finir de détruire l’esprit des balades et la joie simple des petits plaisirs de la vie. Le but étant toujours de réaliser « la photo » pour montrer aux autres à quel point on est écolo-responsable.

Si vous voulez faire de la micro-aventure, faites-le et arrêtez donc de le démontrer par tous les moyens possibles. Cette débauche d’énergie pour la pause photo, pour les retouches, puis la diffusion démontre qu’une fois de plus que le voyage est mort. On voyage désormais pour montrer et non plus pour vivre. Le voyage est mort.

« Être ou ne pas être, telle est la question »

Vous n’êtes rien, vous êtes le néant. Cela ne fera pas forcément plaisir à votre égo, mais c’est comme cela. Et tant que vous n’êtes rien c’est que vous êtes vivant et que tout est possible à chaque instant et à chaque seconde.

Vouloir être c’est dans le meilleur des cas  vouloir jouer un rôle. Un rôle régit par des attitudes Être, est un verbe d’état qui signifie que tout est figé, gravé dans le marbre. Vous l’aurez donc compris, être c’est l’absence d’originalité ou d’imprévu. Confronté à notre condition humaine, ce mot défini un état indéfini pour l’éternité, être c’est juste la mort. Cette vision des choses c’est à Jean-Paul Sartre que nous le devons. Un livre « l’être ou le néant » publié en 1943. Le philosophe Raphaël Enthoveen avait d’ailleurs fait une excellente analyse pour expliquer le véritable sens de la pensée de Sartre.

Tant que nous céderons à la tentation facile de suivre des schémas de pensées pré-établies nous ne serons que des marionnettes et le voyage sera bel et bien mort. Si nous apprenons à avoir un regard neuf sur le monde qui nous entoure alors il reste peut-être encore une chance.