Pen Duick une histoire hors norme
Le voilier Pen Duick, Eric Tabarly l’a reçu de son père en 1952. Le seul problème c’est qu’à l’époque, ce magnifique voilier croupit depuis 1947 dans l’arrière port ou dans une vasière de la Trinité sur Mer. Si le bateau s’était retrouvé là c’est parce qu’il devenait tout simplement impossible de naviguer en toute sécurité sur un voilier mal entretenu de plus de 20 ans.
Pen Duick, Eric Tabarly en aura pris soin toute sa vie. Il y a consacré tout son argent et c’est aussi sur ce bateau qu’il aimait tant qu’il a malheureusement perdu la vie. L’histoire de ce voilier est incroyable. Tout commence en Irlande, à la fin du XIX siècle par un coup de crayon de génie de William Fife et par des navigations le long des côtes bretonnes.
L’histoire du voilier
Le nom du voilier est intimement lié à un marin d’exception. C’est aussi une histoire d’amour entre les français et l’univers de la voile. Eric Tabarly disait de Pen Duick, ce n’est qu’un bateau… Néanmoins ce plan Fife de 15 mètres de long est une œuvre d’art qui appartient à l’histoire et à l’imaginaire des français. Ce superbe voilier est donc logiquement classé monument historique.
Un voilier qui a eu une vie avant d’être accueilli par la famille Tabarly
Ce bateau dessiné par William Fife est construit en 1898, soit un an avant le Shamrock un autre voilier dessiné par le même architecte spécialement pour la Coupe de l’America.
Les bateaux dessinés par cet architecte écossais sont appelés des plans Fife. Tout simplement parce que ces voiliers d’exception sont reconnus pour leurs lignes épurées et pour leurs performances sur les plans d’eau. Parmi les plus célèbres plans Fife, cousins et cousines de Pen Duick (1898), on trouve Altaïr (1931), Belle Aventure (1929), Hallowe’en (1926), Astor (1924), Elise (1912), Mariquita (1911), Tuiga (1909), Hispania (1909), Moonbeam III (1903), Shamrock III (1903), Shamrock (1899). Et la liste est longue.
La disparition d’un marin d’exception
Mais l’histoire de Pen Duick c’est aussi une tragique navigation du mois de juin 1998. Eric Tabarly se rendait a un rassemblement de vieux gréements en Irlande. Le vent devint assez fort et il fallait impérativement réduire la voilure. Prendre un ris sur un vieux gréement est toujours un peu périlleux. Le bateau est face au vent et la bôme balaye le pont. Dans ces conditions le bateau est généralement brinquebalé dans la houle car il n’a plus la puissance des voiles pour appuyer son passage dans les vagues.
Une tragique prise de ris
Dans la nuit du 12 au 13 juin 1998, alors qu’Eric Tabarly a renvoyé tous ses passagers « inexpérimentés » dans le carré, il se retrouve donc seul sur le pont en mer d’Irlande. Alors qu’il affale une partie de la grand voile, il est frappé par la bôme, il dérape sur un coffre et il finit à la baille.
A l’intérieur, les passagers n’en mènent pas large. Il faut dire que ce voilier n’est pas vraiment étudié pour naviguer dans la houle. Au bout de quelques temps, ne voyant pas Eric Tabarly revenir et n’entendant plus ses pas sur le pont, les passagers s’inquiètent. Le bateau continue d’être malmené par la houle et la manœuvre s’éternise. En regardant à l’extérieur les « équipiers » passagers comprennent qu’il s’est passé quelque chose de terrible pendant la prise de ris. Sur le pont il n’y a plus personne, Eric vient probablement de passer par dessus bord.
Nous aurions tous aimé être en mer à ce moment là. Apercevoir Pen Duick dans les lointains, se rapprocher pour admirer le voilier et repêcher Eric Tabarly.
Mais avec la forte houle et une eau qui ne dépasse pas les 14 degrés il est compliqué de survivre dans de telles conditions et ce matin de légende ne sera pas repâché. Et il sera quasiment impossible pour les passagers de faire demi-tour pour retrouver un homme à la mer. A 67 ans un grand marin s’en est allé tel un comédien qui serait mort sur scène. Il paraît que les légendes ne meurent jamais.
Le renaissance de Pen Duick
Avec Eric Tabarly et la saga de ses voiliers de courses, Pen Duick est devenu une marque et une légende. Mais derrière ses lignes parfaites, ce voilier cachait bien son jeu. Car depuis de longues années ce bateau souffrait d’un problème de structure. A tel point qu’il devenait pratiquement impossible de trouver un assureur pour assurer le bateau. Naviguer dans ces conditions devenait impossible c’était soit la terre ferme ou une restauration en bonne et due forme, une rénovation complète et couteuse.
La rénovation de la coque
Eric récupère le bateau de son père, il est abîmé et il faut le rénover. Pour ce faire il choisit de partir faire son service militaire en Indochine car la solde des militaires y est deux fois plus importante. Lorsqu’il revient d’Indochine il va voir Gilles Constantini, un ami. Et pour éviter de dépenser trop d’argent, Tabarly décide le mettre à niveau avec des techniques modernes. Il retourne son voilier, il applique sur l’extérieur de la coque une couche de résine de polyester et de fibre de verre. Et à l’intérieur il remplace par exemple des membrures en bois endommagées par des membrures en contre-collé. C’est ainsi qu’Eric Tabarly devint le deuxième architecte de Pen Duick.
Dans les années 90, un journaliste de FR3 venu interviewer Eric sur son voilier lança une question hasardeuse. « On vous voit poncer le pont de votre voilier, vous aimez entretenir votre bateau? » Eric avait répondu du taco-tac « Non je n’aime pas cela, mais il faut bien le faire ».
Ce que l’on ne vous dira pas forcément sur la rénovation de 1958 – 1989
Un petit arrangement avec la mécanique des forces aurait pu être fatal au bateau. Lorsque Eric Tabarly identifie un défaut structurel au niveau de la quille, il installe des membrures pour consolider ce bateau mythique. La réparation n’est pas forcément enseignée dans les écoles d’architecture naval mais elle tient le coup. Avec un système de membrures stratifiées et fixées à la coque, Eric renforce la structure. Et lorsque le système D montre des signes de fragilité, il rajoute de nouveaux renforts en empilant de nouvelles membrures qui sont fixées sur la coque de plus en plus haut. C’est alors que la coque même du navire commence à montrer des signes de faiblesse.
Cet imbroglio de renforts est finalement à l’origine d’une impasse. Et une reconstruction totale de la charpente s’impose alors.
La rénovation de 2017 – 2019
Pour refaire la structure du voilier les charpentiers vont appliquer à l’extérieur une résine époxy et à l’intérieur ils installent des membrures. Les membrures sont en fait de fines pièces de bois en frêne collés entre elles. Ce sont ces membrures qui sont à la base de la charpente du navire.
A l’occasion du salon nautique de Paris le voilier avait été exposé lors de l’édition de 2018. Une occasion inespérée de faire des photos uniques. L’histoire de « Pen Duick 1 » continue. Une cagnotte a été lancée en ligne et c’est elle qui a permis de financer une partie de la rénovation de ce voilier légendaire.
La fiche technique de Pen Duick (ex-Yum)
Caractéristiques de la coque
Architecte: William Fife Junior
chantier de construction : N&J Cummins et Bros
Première mise à l’eau : 1898 à Carrigaloe en Irlande
Longueur hors tout : 15,40 mètres
Flottaison: 10,04 mètres
Longueur de la coque: 10,04 mètres
Largeur : 2,95 mètres
Tirant d’eau: 2,15 mètres
Poids total: 11 tonnes
Lest 6 tonnes
Voilure
Type de gréement : aurique
Surface au près: 162 mètres carrées
Superficie de la grand-voile : 76,5 mètres carrés
Surface du clin foc : 20,13 mètres carrés
Superficie de la trinquette : 17,20 mètres carrés
Surface du foc de route : 19,6 mètres carrés
Tirant d’air : 14,7 mètres
Diverses informations sur Pen Duick
Numéro d’immatriculation : LO D30190
Port d’attache : Cité de la voile de Lorient
crédits photos: Yann