Le Grand retour de l’argentique
Ça y est, après des années de dictature du numérique, l’argentique fait son grand retour. C’est au début des années 2000 que je mets la main sur un boitier Leica M6. Son propriétaire veut s’en débarrasser pour passer au numérique. Le boitier qu’il vise coûte dans les 4000 euros et il a visiblement besoin de sous pour l’acheter. Et puis de toute façon prendre des photos en argentique coûte trop cher. Achat de films, développement et tirages papiers. Lorsque la téchnologie numérique arrive c’est la promesse de faire des milliers de photos, rapidement pour un coût qui reste stable.
Nous sommes en 2003 et je mets donc la main sur un boitier de légende. Toujours d’attaque je l’emmène partout autour du monde, en Chine, en Sibérie ou à Saint-Pétersbourg mais aussi dans la cordillère des Andes ou encore au Maroc et au Japon. Pour lui rien est trop chaud et rien est trop froid. Entièrement mécanique le matériel argentique ne souffre presque d’aucune panne et il n’a pas besoin de batterie. Vous l’aurez compris un boitier argentique est l’appareil photo idéal pour voyager. Et si nous assistions au grand retour de l’argentique?
Le faux calcul du tout numérique et pourquoi l’argentique a résisté
L’argentique et les lois du hasard
Loin de crier victoire il y a un retour certain vers l’argentique. Cette technoligie propose en effet beaucoup de points positifs. Tout d’abord il est relativement compliqué d’effacer par hasard des négatifs. Mais si l’argentique revient en force c’est surtout parce qu’il permet une sorte d’alchimie entre la prise de vue et le développement. Je m’explique. Le numérique fonctionne un peu comme un scanner, c’est la reproduction froide et presque parfaite du monde qui nous entoure. Ce qui est vu par le capteur est enregistré.
A contrario tout ce qui passe par la lentille et par le film peut être déformé en bien ou en moins bien. Passer par l’étape du négatif contribue à obtenir des images qui ont du grain.
Le calcul du budget photo sur 10 ans
Le fait de passer au numérique nous fait rentrer dans l’ère de la consommation et de la surenchère technique.
Si vous achetez un boitier de type professionnel cela va vous coûter entre 3 000 et 5000 euros. Vous pourrez le garder 5 ans sans problème, mais au bout d’un moment et de quelques réparations il va falloir passer à un autre type de matériel. En argentique le plus important c’est l’objectif. Et quand celui-ci est mécanique il ne s’use quasiment jamais.
CQFD avec un matériel argentique le coût de l’équipement est moindre, on ne paye les films que lorsque l’on fait des photos et l’appareil ne se démode pas. Pas de mise à jour à faire. Et pas de nettoyage du capteur etc.
Pourquoi l’argentique permet de faire de plus jolies photos ?
Le temps de cadrage
Beaucoup de mes amis arrivent au même constat que moi. Les photos prises à l’aide d’un appareil argentique sont bien plus jolies que les photos prisent à l’aide d’un appareil photo numérique ou d’un téléphone.
La raison est simple, lorsque l’on prend une photo en argentique on prend un peu plus de temps à cadrer. Quelques dixièmes de secondes ou quelques secondes de plus qui font toute la différence. Le fait que l’on ne puisse pas effacer les photos contribue également à l’amélioration de qualité globale. En prenant son temps on améliore très légèrement le cadrage et donc le rendu de l’image.
D’ailleurs lorsque je fais numériser mes négatifs je demande toujours à ce que l’on scanne les négatifs non pas en 24 x 36 mm mais en 24,5 x 36,5 mm. De cette façon on fait apparaître un cadre noir. Ce cadre noir n’est autre que le contour du négatif qui n’a pas pris la lumière et c’est pour cela qu’il est noir. Toutes les parties du film qui prennent la lumière deviennent plus ou moins blanches lors du développement. Ce cadre noir autour de la photo atteste que l’image n’a pas été recadrée. C’est un processus que beaucoup de photographes utiliseront pour se démarquer et pour attester que le cadrage de l’image présentée ne s’est pas fait à posteriori.
La pollution des images digitales
« Ce qui est gratuit n’a pas de valeur »
Car en partant du principe que prendre une photo n’a pas d’impact sur le budget photo on se met à photographier tout et n’importe quoi.
L’une des pistes de réflexions est donc le fait que prendre une photo ne « coûte plus rien ». Avec le numérique la dépense se fait lors de l’achat du matériel. On peut donc mitrailler jusqu’à faire la photo parfaite. Mais c’est un leure. Car malheureusement la photographie ça ne marche pas comme cela. Même en faisant 1000 photos par jour il est très compliqué de remettre la main sur les plus jolies photos du jour ou de la semaine. A partir de 300 ou de 400 photos le cerveau sature et toutes les photos se ressemblent plus ou moins et on commence à sérieusement pédaler dans la semoule. En d’autres termes cette puissance numérique nous fait perdre nos repères au moment de la prise de vue et au moment du classement. Le nombre d’images réalisées va donc être un frein à la création et la source d’une perte de temps considérable.
En plus, à force de photographier, on ne profite plus vraiment de l’instant présent. On regarde des scènes de vie à travers un mauvais écran numérique. Et à force de mitrailler on se retrouve avec des photos sans émotion, des photos qui n’ont pas vraiment de sens. Car il ne se passe rien sur l’image où pas grand chose. Un photographe célèbre disait : qu’il est inutile de d’insister lorsque la photo est bonne ».
Comme prendre une photo n’a plus de conséquence budgétaire, on prend donc des photos sans raison, juste comme cela pour être sûr de ne rien rater. Alors que l’argentique est la photo de la synthèse d’une situation poussée à son paroxisme. En d’autre terme, c’est l’image que l’on prend lorsque l’on est arrivé au bout de la randonnée. Avec la slow photographie on ne fait que les moments qui comptent. On immortalise de l’instant décisif, c’est la mise en boîte du point d’orgue.
L’argentique ou la « Slow photographie »
Autre point important avec l’argentique, vous n’avez pas besoin de photographier en « RAW » et surtout vous ne perdez pas de temps à retoucher vos photos devant un écran d’ordinateur mal calibré. Ainsi avec le film la photo redevient un plaisir et une véritable démarche. On sort d’un certaine forme de boulimie photographique. On redonne du temps au temps et surtout du sens à nos actions. C’est pour cela que l’on peut parler de slow photographie. L’argentique permet d’aller à l’essentiel et de se concentrer sur le plus important le cadrage et surtout de faire de belles photos.
Et puis l’avantage de l’argentique c’est que l’on doit apporter ses films et attendre le temps du développement. Cela peut prendre entre 24 heures et 1 semaine. Lorsque l’on découvre les clichés on éprouve des émotions on retrouve des moments que l’on avait oublié et l’on se surprend soi-même. On est également parfois déçu de ses réglagles et on se lance dans une réflexion sur la photographie et sa technique. Avec le numérique on peut rendre une photo floue un peu plus nette, on peut changer toutes les couleurs et on peut même changer la couleur du ciel ou de la mer et même rajouter des objets ou des sujets. Pratiquer l’argentique est une autre démarche nécessairement plus authentique.
La photographie argentique c’est un peu comme le disque vinyle, le grain de la photo est plus réconfortant, plus chaud et plus rond.
crédits photos : Yann